TOBOGGAN

Un mercredi d’automne sur l’immense plage de Trouville . Il est midi, il n’y a personne, peut-être le premier froid qui a dissuadé les promeneurs, pourtant il fait beau. C’est pour cela que nous avions décidé, ma femme et moi , de pique- niquer sur la plage. Le sable étant humide, nous avons repéré un toboggan, pour nous en servir de siège. Les bords en bois étant à la bonne hauteur, en déposant des serviettes pliées pour rembourrer l’assise, nous nous calons dos à dos pour un confort maximal. Je m’aperçois que nous sommes dans une aire de jeux et que les balançoires, tourniquets, trampoline et autres, ont été démontés pour l’hiver. Il ne reste plus que cette échelle avec descente d’urgence, dressée sur cette immense platitude toujours aussi déserte. Non je discerne un petit point noir qui se profile à l’horizon mais je n’y prête pas attention et je m’occupe à déballer un frugal repas, que nous allons partager, heureux. Quand je relève la tête, le petit point à grandi et vient dans notre direction, maintenant je distingue un enfant. Parvenu à une quinzaine de mètres, je vois un garçon de six, sept ans, bien emmitouflé dans un anorak bleu, avec la capuche ne laissant voir qu’une bouille toute ronde. Son voyage de derrière l’horizon le fait arriver à cinq mètres de nous et il reste là droit comme un i à nous regarder. Une analyse de la situation s’impose, devons nous tout remballer et lui laisser la place, ne peut-il pas attendre dix minutes que nous ayons fini, en s’occupant à autre chose ?

Nous le regardons à nouveau, il a encore approché d’un mètre, toujours droit, les bras pendants , il ne dit rien, son expression est sérieuse, si ce n’est un froncement de sourcils qui devient implorant . Nous comprenons tout de suite que c’est pour une urgence ! En rassemblant nos sacs et nos serviettes, nous libérons le toboggan . Aussitôt l’enfant se précipite sur l’échelle, un large sourire lui barre le visage. Sa première glissade se fait en traditionnelle, sur les fesses. La seconde sur le ventre, la tête en bas, nous réalisons que ce n’est pas un débutant, après une troisième descente, toujours sur le ventre, les pieds en avant, il se remet debout et repart sans un mot pour continuer son chemin et disparaître dans l’autre horizon.

La plage toujours aussi vide, nous décidons de nous réinstaller. Assis, le sandwich au seuil de la mastication, je décide un dernier coup d’œil panoramique, quand je distingue tout là-bas une autre petite silhouette noire, qui grossit, qui grossit …